SCROLLING CO2
Antoine Blouin
Médiation complète
La question de la prise en compte dans la conception en design, de l’impact écologique, comme de l’impact social n’est pas nouvelle. Elle constitue l’enjeux majeur de notre temps. Victor Papanek était dès les années 60 un pionnier en matière d’eco-design.
« Le design, s’il veut assumer ses responsabilités écologiques et sociales, doit être révolutionnaire et radical. Il doit revendiquer pour lui le principe du moindre effort de la nature, faire le plus avec le moins. »
Il plaidait pour que la conception soit accompagné d’une considération de l’impact écologique qu’elle engendre. Ainsi il a introduit des notions aujourd’hui majeures, celles du cycle de vie et du recyclage. Cet appel aux conscience a pris de nombreuses formes à l’instar de son livre « Design for the real world » (1971) ou de son émission télévisée Design Dimensions qui cherchait à éduquer sur les dangers de mauvais design. Ces avertissements préfigurent de 50 ans notre époque, et pourtant alertent sur la dimension limitée de nos ressources. Il Proposait déjà des alternatives, notamment en faisant la promotion de ce qu’on appèle aujourd’hui le biomimétisme et en pointant du doigts l’impact de l’obsolescence programmée et l’American Way of Life.
(Papanek 1971)
« les designers sont devenus une espèce dangereuse » (Papanek 1984)
On retrouve quelques années plus tard chez Ezio Manzini, cette même volontée de transformer les pratiques. Avançant l’absurdité d’une consommation « sans limite » dans un monde par essence limité. (Et sur ces mots nous ne saurions que vous recommander de suivre les conférences de Jean-Marc Jancovici.) Ceci impliquant bien-sûr une profonde du système dans lequel nous évoluons, et ce de la conception à la consommation.
En 1976, Dieter Rams il évoquait déjà son inquiétude face à ce futur: «J'imagine que notre situation actuelle fera frémir les générations futures devant notre manque de discernement sur notre manière de remplir nos maisons, nos villes et nos paysages d'un chaos d'ordures non réglementées.» Aussi il enseignait et mettais en avant ses 10 commandements pour un bon design, ce dernier doit selon lui être:
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innovant
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utile
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esthétique
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compréhensible
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discret
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honnête
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approfondi
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durable
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éco-responsable
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synthétique
Parmis les possibilités envisagées, celle du design circulaire, qui s’inscrit aussi bien dans la conception de produit que dans du service en imaginant l'éco-conception des business modèles de nos entreprises et en travaillant de concert avec celles-ci pour leur permettre de s’inscrire dans un avenir plus durable.
Quand il est question d’économie et de design circulaire, un livre fait office de manifeste; Cradle to cradle de Michael Braungart et William McDonough, publié en 2002 aux États-Unis. L’ouvrage suggère une « empreinte écologique positive », à travers une démarche d’éco-conception. L’objectif affiché étant de penser le produit dès l’origine afin qu’il puisse avoir plusieurs vies. Ainsi le livre défend une position ne mettant pas en confrontation croissance économique et écologie.
Pour cela, l’imitation de la nature joue un rôle majeur, chaque production doit trouver une forme de résilience, soit en retournant à l’industrie en tant que matière première, soit assurant une dégradation non toxique pour l’environnement.
Il existe bien sûr d’autres propositions qui peuvent être soulevées, notamment celle de Reanim du studio 5.5, qui permet de réhabiliter des objets en systématisant l’intervention à travers une série d’accessoires pensés pour répondre aux faiblesses courant de la production. Certains projets restent dans la dimension plus connue du recyclage, tout en y apportant des modifications significatives, en résulte de nouvelles matières, des apports techniques important, ou tout simplement une dimension plastique nouvelle. Cela nous renvoie directement au projet de gaëlle gabillet & stéphane villard Objet Trou Noir, Matière Dernière.
Limiter l’impact des déchets qui sont directement récupérés dans des milieux naturels représente également un enjeux fondamental, c’est le fondement de la démarche initié par la Sea Chair du Studio Swine qui revêt en plus une dimension narrative favorisant les prises de consciences.
Certains projets repense même complètement le rôle du designer à l’instar de Gavin Munro qui cultive des meubles, oui cette phrase est au sens propre.
Il y a aussi de nombreuses proposition en design de matières, l’objectif état évidemment de trouver des alternatives au pétrole, mais aussi à d’autres matériaux qui ne peuvent répondre à une demande croissante, à l’instar des métaux, du verre ou du béton. Pour ne citer qu’un projet,
La collection "Botanica" du Studio Formafantasma propose une uchronie, « et si l'ère basée sur le pétrole, dans laquelle nous vivons, n'avait jamais eu lieu? ». Aussi les designer ont étudié la période pré-bakélite, découvrant textures inattendues et possibilités techniques offertes par les polymères naturels.
En soit le design ne manque pas de suggestion, l’objectif étant de parvenir à globaliser cette approche, il a aussi un rôle de sensibilisation qui ne doit, selon nous, pas être négligé. Le monde muséal, celui des galerie et autres lieux culturel à évidemment son rôle à jouer. L’exposition Frugal de l’Association pour un design soutenable, fondé par Hélène Aguilar fait figure d’exemple. Bien sûr les créateurs et institutions culturelles ne pourront être les seuls acteurs de se changement, qui adviendra soit de manière contrainte, dans le meilleur des cas, soit de manière subi dans le cas où cette transformation de la consommation n’est pas engagée sur le court terme.
Présentation complète du projet
Scrolling CO2 découle d’une recherche sur « l’équilibre attentionnel » entre réalité et virtualité. Sensible à la question écologique, celle « attentionnelle » liée à la question du bien-être, et celle « environnementale », liée à la question des émissions de CO2 par l’utilisation des écrans de téléphones. Antoine Blouin a amorcé un travail visant à donner une représentation physique et sensorielle à un phénomène non visible. Cette réflexion l’a conduit à penser un dispositif qui se propage dans l’espace par une logique combinatoire et organisée, invasive et multidirectionnelle, inspirée de la forme de la molécule de carbone. Cette composition modulaire exprime la masse volumique de notre consommation de temps d’écran. Une minute passée sur notre téléphone produit 57 grammes de CO2 dans l’atmosphère. Un Français passe en moyenne 600 minutes par semaine sur son portable, soit 10 heures. Le dispositif a été pensé à l'origine en cire de synthèse pour qu’il n’y ait aucune perte de matière. Le projet est actuellement produit en impression 3D de porcelaine dans laquelle des pigments sont inséré de manière aléatoire et qui offrent ainsi un rendu visuel unique à chaque pièce. Ce nouveau mode de production permet ainsi de proposer des pièces nobles tout en conservant la volontée de départ du designer qui souhaitait ne générer aucun déchet.
Dans sa toute dernière phase de développement initié pour l'occasion de la Biennale et pour la Galerie des Curiosités, une adaptation du projet sous la forme de vase a vu le jour. Créant ainsi de multiple passerelles entre les disciplines; d'un Process de design, à l'art, pour revenir au design.
Biographie
Antoine a toujours souhaité suivre un parcours dans un domaine intimement lié à la création. Il s’est ainsi de suite orienté vers les arts appliqués de Toulouse pour continuer son parcours à L’école d’Art et de Design d’Orleans et l’université de Québec à Montréal. Passionné par les nouvelles technologies et leur raisonnance sur la manière de concevoir et questionner notre environnement de demain. De retour en France, il fait converger son attrait pour l’impression 3D à celui des arts du feu. Cette corrélation entre savoir-faire artisanal et progrès technologique définit le coeur de sa pratique aujourd’hui. Antoine est actuellement entrain de fonder son propre studio en temps que designer céramiste sur Rouen : Princivalle ceramic design studio.
Élément complémentaire
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